Saint Colomban et Saint Antonin?
L’&cclesia réécrit l’histoire de l’antique abbaye de Luxeuil-les-Bains
L’espace muséographique L’&cclesia présente le passé prestigieux de la petite station thermale des Vosges et le périple du moine irlandais Colomban.
Par Francis Gouge(Créteil, correspondant)
Luxeuil-les-Bains, charmante station thermale sur le flanc sud des Vosges, en Haute-Saône, fut durant la période mérovingienne un des phares de la spiritualité européenne avec une abbaye qui rayonna sur tout l’Occident. Il ne reste plus rien de son passé prestigieux, hormis des tombes et des sarcophages de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Age, et quelques vestiges d’une église et d’une crypte récemment découverts. Ils viennent de faire l’objet d’une belle présentation muséale : L’&cclesia.
L’histoire de Luxeuil commence officiellement en 590 avec l’arrivée d’un moine, Colomban (540-615), accompagné d’une douzaine de fidèles, tous venus d’Irlande. A la demande de Childebert II, roi d’Austrasie et de Burgondie, il construit un monastère à Luxeuil, mais l’ombrageux religieux brouillé avec son successeur, Thierry II, est expulsé avec ses compagnons irlandais. Ne restent que les moines francs et gaulois. Colomban et les siens parcourent une partie de l’Europe semant monastères et abbayes. Avec leurs héritiers, ils en créeront une cinquantaine.
Atelier de transcription de manuscrits
A Luxeuil, ses successeurs, surtout Valbert (595-670), donnent à leur établissement un rayonnement considérable grâce à son atelier de transcription de manuscrits, le scriptorium. Une armée de moines (plusieurs centaines) y recopient et enluminent des ouvrages destinés à toute la chrétienté. L’abbaye luxovienne est, jusqu’au IXe siècle, un des lieux produisant le plus de manuscrits en Europe. Entre ses murs, une nouvelle écriture cursive et stylisée avec des lettres étroites et resserrées y est mise au point. Elle est une des racines de la nôtre. Si elle n’y a probablement pas été inventée, c’est à partir de Luxeuil que se propagea un drôle de signe abréviatif : &, appelé esperluette.
Les fouilles ont permis de découvrir 380 sépultures, dont 150 sarcophages datant de l’Antiquité tardive et de l’époque mérovingienne, en excellent état de conservation
Puis le temps a passé. Une nouvelle abbaye a remplacé celle de Colomban et de Valbert dont il ne restait plus que des légendes et des souvenirs incertains. Il a fallu des fouilles menées par le CNRS sous un parking en centre-ville pour faire ressortir tout un passé mal connu. Quatre campagnes, de 2008 à 2015, ont permis de découvrir 380 sépultures, dont 150 sarcophages datant de l’Antiquité tardive et de l’époque mérovingienne, en excellent état de conservation, toutes orientées vers l’est dans l’attente du Jugement dernier. Mais aussi une partie des soubassements de l’église Saint-Martin et la quasi-totalité de ceux de la crypte attenante dédiée à saint Valbert, rajoutée dans les années 600. « C’est la première fois que nous avons des vestiges qui renvoient au monastère de Luxeuil. L’intérêt scientifique et patrimonial est exceptionnel », insiste Sébastien Bully, chercheur au laboratoire Artehis (CNRS/université de Bourgogne), responsable des fouilles.
Ces découvertes ont permis de réécrire l’histoire des origines de l’abbaye que nous ne connaissions que par les textes hagiographiques de Jonas de Bobbio, écrits trente ans après la mort de Colomban. « Contrairement à la croyance admise jusque-là, le site n’était pas abandonné à l’arrivée de celui-ci », rappelle Jacques Prudhon, président des Amis de saint Colomban. Certes, Luxeuil n’avait plus l’opulence de Luxovium (son nom romain), mais il restait encore une communauté chrétienne active avec deux églises. Le moine irlandais a réutilisé les bâtiments existants comme une grande basilique paléochrétienne (27 m x 20 m) construite entre 450 et 500, dédiée à saint Martin. Les sarcophages nous apprennent qu’elle avait une fonction exclusivement funéraire, une autre église étant réservée à l’office divin comme il était de coutume. Colomban n’a donc pas christianisé la région.
Conscient de ce trésor, le maire, Frédéric Burghard, a fait construire un écrin, L’&cclesia, afin de protéger les lieux et de les mettre en valeur. Le cabinet Malcotti-Roussey a conçu un bâtiment d’une grande sobriété, totalement aveugle, au seul service du site. Avec le scénographe Eric Verrier il a imaginé un parcours muséographique empruntant un système de passerelles ponctué par des balcons consacrés à une thématique. Un jeu de lumières colorées attire l’attention sur des pièces remarquables (un couvercle de sarcophage, une inscription…) et souligne les explications fournies par des plans ou des maquettes rendant ainsi ce parcours, ardu de prime abord, accessible à tous.
Francis Gouge(Créteil, correspondant)